Traduction de l'entrée de l'encyclopédie universitaire :
http://plato.stanford.edu/entries/social-norms/
3. Théories des normes et leur force
Dans
la majorité de la littérature qui porte sur les normes, il est
assumé indubitablement que les normes suscitent la conformité, et
qu'il y a une forte corrélation entre les croyances normatives des
personnes et leur comportement. Par croyances normatives est signifié
en général des croyances individuelles ou collectives à propos de
quelle sorte de comportement il est prescrit (ou interdit) dans un
contexte social donné. Les croyances normatives sont habituellement
accompagnées par l'attente que les autres personnes suivront le
comportement prescrit et éviteront celui qui est interdit. Mais il
n'est pas évident qu'avoir des croyances normatives fera que les
personnes agiront d'une certaine manière qui leur soit cohérente.
Qu'importe qu'il puisse y avoir des croyances normatives qui
divergent de comportement, et si c'est le cas, pourquoi, c'est une
question à laquelle nous devons répondre pour fournir une
explication satisfaisante des normes.
Une
norme ne peut simplement être identifiée à un pattern
comportemental collectif récurrent. Si nous devions adopter une
explication purement comportementale des normes, rien ne
distinguerait le critère d'impartialité partagé de, disons,
l'habitude matinale collective du brossage de dents. Éviter une
définition purement comportementale veut dire se focaliser sur le
rôle que les attentes jouent dans la légitimation de ces sortes de
comportements collectifs qu'on considère être des normes. Après
tout, une personne se lave les dents qu'elle attende ou non que les
autres fassent de même, mais elle n'essaierait même pas de réclamer
un salaire proportionnel à son éducation si elle attend de ses
collègues qu'ils suivent la règle de l'ancienneté. De plus, il y a
des comportements qui ne peuvent être expliqués que par l'existence
de normes, même si le comportement prescrit par la norme en question
n'est jamais observé. Dans son travail sur les Ik, Turnbull (1972)
rapporte que ces chasseurs-cueilleurs affamés essayaient
difficilement d'éviter des situations où leur conformité aux
normes de réciprocité était attendue. Ainsi ils changeaient leurs
manière pour ne pas être en position de donateur (gift-taker),
et chassaient seul et en secret pour ne pas être forcés de partager
leur proie avec quelqu'un qu'ils rencontreraient pendant qu'ils
chassaient. La plupart des comportements des Ik pourrait s'expliquer
comme une tentative réussie d'échapper aux normes de réciprocité
existantes. Les normes peuvent contenir une grande quantité
d'influence dans une population, même quand on ne voit jamais les
comportements correspondants à la norme qui est censée les
susciter.
Comme le montre l'exemple de Turnbull, le fait d'avoir des
croyances normatives et d'attendre des autres de se comporter selon
une norme donnée n'entraîne pas toujours un comportement de norme
durable (norm-abiding).
Simplement focalisé sur les normes comme un faisceau d'attentes
devrait par conséquent être trompeur, puisqu'il y a beaucoup
d'exemples de divergences entre les attentes normatives et les
comportements. Prenons la norme largement reconnue de l'intérêt
personnel (Miller et Ratner 1996) ; il est remarquable
d'observer comment les personnes supposent souvent des autres qu'ils
agissent de manière égoïste, même s'ils sont préparés à agir
de manière altruiste eux-mêmes. Par exemple, des études montrent
que la bonne volonté des gens à donner leur sang n'est pas changée
par des incitations monétaires, mais typiquement les seules
personnes qui veulent leur sang gratuitement attendent des autres de
donner le leur seulement en contrepartie d'une récompense monétaire
suffisante. De manière similaire, quand on leur demande s'ils
loueraient leur appartement à un couple non marié, tous les
propriétaires interrogés répondent positivement, mais ils estiment
que seulement 50 % des autres propriétaires acceptent un couple
non marié comme locataires (Dawes 1974). De tels cas d'ignorance
pluraliste sont plutôt communs ; ce qui est déconcertant c'est
que les gens peuvent attendre d'une norme donnée d'être soutenue en
l'absence d'information à propos des comportements de conformité
des autres personnes et malgré une évidence personnelle pour le
contraire (Bichierri et Fukui 1999). On pourrait soupçonner que dans
tous les cas mentionnés les individus impliqués – bien que
croyant en l'existence d'une norme – n'étaient pas eux-même
« sous sa prise ». Cependant, il y a plus de preuves
montrant que les personnes qui donnent leur sang, laissent un
pourboire à l'étranger, donnent de l'argent aux mendiants ou
renvoient un porte-feuille plein d'argent essayent souvent de
minimiser leur comportement altruiste en fournissant des motifs
égoïstes qui rendent leurs actions acceptables en étant conforme à
la norme de l'intérêt personnel (Wuthnow 1991).
Si
une définition purement comportementale des normes est
insuffisantes, et si une telle définition seulement basée sur des
attentes est à mettre en question, où allons-nous ? Nous devons
réaliser que l'ambiguïté sémantique qui entoure le concept de
norme est commun à tous les construits sociaux. Il n'y a pas de
nécessité ni de condition suffisant pour être une norme, juste un
faisceau de caractéristiques que toute norme peut afficher sur une
étendue plus ou moins grande. Les normes réfèrent aux
comportements, aux actions sur lesquelles les gens ont le contrôle,
et sont supportées par des attentes partagées à propos de ce qui
devrait ou ne devrait pas être fait dans différents types de
situations sociales. Les normes, cependant, ne peuvent être
simplement identifiées aux comportements observables, ni ne peuvent
être assimilés à des croyances normatives, puisque les croyances
normatives peuvent ou non provoquer des actions appropriées.
Les
degrés variables de corrélation entre les attentes normatives et les
actions sont un facteur important pour faire la différence parmi les
types variés de normes, et pour évaluer de manière critique les
trois théories majeures à propos des relations entre les attentes
normatives et les actions. Ces théories sont : (1) la théorie
de l'acteur socialisé, (2) la théorie de l'identité sociale, et
(3) le modèle de conformité au choix rationnel.
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